La dimension sociale
Les biscuiteries-chocolateries Victoria étaient des entreprises
familiales, tant par le capital détenu que par la nature des relations
sociales qu’auront su instaurer leurs dirigeants, à Bruxelles et plus
encore à Dordrecht où ils multiplieront les initiatives à cette fin et
favoriseront l’adhésion du personnel aux valeurs de l’entreprise.
Quelques mois seulement après la création de la Manufacture des
biscuits et desserts Victoria à Koekelberg, le personnel pose autour de
ses trois fondateurs.
En 1910, la Caisse de
secours du personnel de Victoria-Bruxelles est
transformée en association mutuelle, préfigurant les grandes mutuelles
santé qui se développeront peu à peu. Tandis que naissent le cercle
d’art dramatique et l’association sportive Victoria, des logements
seront édifiés pour le personnel rue De Neck. Et en ville on construira
le Foyer Victoria rue Léon Autrique.
Les fêtes du 25e anniversaire de la firme, en 1921, sont grandioses. On
s’est cotisé dans les bureaux et les ateliers pour ériger un buste à la
mémoire d’Emile Bossaert. Un repas de mille couverts regroupe le
personnel des deux usines, Bruxelles et Dordrecht. Le
lendemain, le personnel défile en calèches dans les rues de Bruxelles
avant de se rendre au parc de Tervuren. Un feu d’artifice est tiré
place Simonis.
A Dordrecht,
Julien
Charles Redelé, membre un temps du parti
socialiste, s’investira personnellement dans la mise en œuvre de bien
des avancées sociales. Le travail en usine est loin d’être admis pour
les jeunes filles qu’il emploie. En 1906, des cours d’enseignement
ménager sont organisés à leur intention. Elles se préparent ainsi à
devenir, le moment venu, de bonnes mères de famille.
Un fort sentiment
d’appartenance va peu à peu se développer à l’usine
de Dordrecht. En 1907, une excursion en bateau emmènera le personnel
jusqu’à la côte. Une aventure qui se renouvellera dès lors chaque année.
Cette identité collective sera forgée également par l’apparition de
plusieurs clubs sportifs, bientôt suivis de formations musicales et de
cercles récréatifs.
En 1908,
l’usine
sera dotée d’un règlement intérieur dont bon nombre
salueront la modernité. Il restera inchangé durant plusieurs décennies.
Un soin particulier est apporté aux tenues de travail du personnel.
Plus tard, des douches seront installées. Leur utilisation sera
obligatoire une fois par semaine.
En 1928, la Caisse de retraite du personnel est instaurée en même temps
que les congés payés s’étendent pour atteindre bientôt deux semaines.
Au cours des années 1930, la médecine du travail et l’examen
psychotechnique sont introduits à l’usine.
La concertation fait partie du paysage. En 1937, une instance
représentative, le Kern, est instaurée qui préfigure la mise en place
du Conseil d’entreprise des années 1950. Un dispositif de recueil des
suggestions du personnel est mis en place. Une commission se charge
d’en faire l’examen.
La Seconde Guerre mondiale n’aura pas vraiment freiné les initiatives.
En 1941, la bibliothèque de la ville ouvre une annexe dans l’usine. La
même année, le Club de randonnée pédestre Victoria mobilise plus de 3
000 personnes le lundi de Pâques tandis que les locaux de la nouvelle
cantine permettent d’accroître encore le nombre des clubs.
Victoria-Dordrecht dispose désormais d’un jardin en face de l’usine.
A Bruxelles aussi, une nouvelle salle va permettre l’organisation de
bien des manifestations : séances récréatives, Saint-Nicolas,
commémorations diverses.
Le personnel de Dordrecht disposera, à partir de 1947, d’un journal
interne :
Victoria-Spiegel,
véritable outil fédérateur. Un document
sera édité par ailleurs qui rappellera l’ensemble des mesures sociales,
présentera les clubs et les moyens de perfectionnement destinés au
personnel. Le document comprendra jusqu’à 54 pages.
Les années
d’après-guerre
vont voir les actions de formation du
personnel se développer fortement à Dordrecht : cycle connaissance de
l’entreprise, accès à l’Université populaire, programmes du TWI
américain.
On vise à associer
chacun au fonctionnement de l’entreprise. Une
enquête d’opinion sera lancée auprès du personnel suivie, un peu plus
tard, d’une campagne pour la productivité qui déterminera la prime
annuelle. Le personnel sera invité à participer activement aux
opérations de recrutement. En 1948, on a fêté la 1 000e embauchée,
laquelle a reçu symboliquement 1 000 florins.
Charles Redelé est à la tête de Victoria-Dordrecht. En 1950, il convie
l’ensemble du personnel à fêter avec lui ses 50 ans. Quatre ans plus
tard, ce sera le cinquantième anniversaire de l’usine. Le personnel
offrira à la direction une œuvre du sculpteur Hans Petri avant de se
retrouver pour une journée d’excursion qui comprendra, notamment, un
baptême de l’air.
Au début des années 1960 la mécanisation, l’ouverture des marchés et
l’accélération des regroupements auront pour corollaire un durcissement
des rapports sociaux. Le rachat des sociétés Victoria se traduira par
l’abandon des sites historiques de Koekelberg et de Dordrecht.
En 1977, affirmant sa volonté d’un management participatif, le groupe
biscuitier français Générale Biscuit se présentera comme “l’histoire
d’une société de familles devenues au fil des temps une famille de
sociétés”. Avant d’être repris à son tour par BSN-Groupe Danone et aujourd’hui Kraft Foods.